Parlons de neutralité carbone !
Parlons-en parce que la neutralité carbone est l’objectif visé par nombre d’Etats engagés dans la lutte contre le réchauffement global. Elle est également visée par de plus en plus d’entreprises.
Parlons-en car, pour mettre de l’ordre dans les communications sur la neutralité carbone des entreprises, le 13 avril 2022, le décret n° 2022-539 est entré en vigueur. Et, il concerne des sujets importants comme la compensation carbone et les allégations de neutralité carbone dans la publicité.
Parlons-en enfin parce qu’on remarque que le sujet du dérèglement climatique et de la neutralité carbone prend de plus en plus de place au sein de la société.
L’objectif de cet article est de faire le lien entre l’état des connaissances scientifiques sur ce sujet et les méthodes de mise en œuvre pour la société.
L’article vise à répondre à plusieurs questions :
- Quelles sont les conséquences du réchauffement global ?
- Comment limiter le réchauffement global ?
- Quel est le lien entre la neutralité carbone et le réchauffement global
- Comment atteindre la neutralité carbone pour une organisation ?
Quelles conséquences pour un monde réchauffé de +1.5°C, +2°C, +4°C ?
Le réchauffement global de la planète atteint +1.1°C pour la décennie 2010 par rapport à la référence de la période 1850-1900. Ce réchauffement de plus en plus élevé apporte son lot de conséquences (de plus en plus visibles).
Nous avons pu remarquer les épisodes d’incendies en Australie, en Californie, au Canada et sur le pourtour méditerranéen au cours de l’été 2021. La France connait ses années les plus sèches avec des records successifs en 2018, 2019 et 2020. Au printemps 2022, 20% des départements français étaient déjà en alerte sécheresse. Nous avons également pu voir le fort épisode caniculaire qu’ont vécu les pakistanais et les indiens dès le début du mois de mai 2022.
Tous ces évènements revêtent une part d’aléatoire météorologique. Il est donc difficile (mais pas impossible) de dire que ces évènements sont forcément liés au réchauffement global en cours. La science des attributions permet de faire ce lien en établissant, par exemple, que « la vague de chaleur précoce en Inde et au Pakistan est 30 fois plus probable en raison du changement climatique».
Le réchauffement global augmente les probabilités d’occurence des évènements météorologique extrêmes (sécheresses, canicules, crues ,etc.)
La science de l’attribution donne des probabilités d’occurrences des évènements rendus possibles à cause du réchauffement global. Un travail équivalent est réalisé par les scientifiques sur les scénario de réchauffement à venir. Le GIEC résume ce travail sur les deux infographies ci-dessous.
La comparaison se fait sur 4 types d’évènements : les canicules décennales, les canicules mi-centennales, les épisodes de fortes précipitations et les sécheresses agricoles et écologiques.
Comment limiter le réchauffement global ?
Le réchauffement global posant un certain nombre de difficultés pour la vivabilité de notre planète, il est désirable de limiter ce réchauffement. Il existe plusieurs pistes pour cela : soit faire des tentatives de refroidissement du climat terrestre par des techniques de géo-ingénierie, soit réduire le réchauffement en limitant l’effet de serre additionnel apporté par les émissions de GES des activités humaines.
La première technique étant éminemment discutables pour les conséquences supplémentaires qu’elles font peser sur la planète (gestion de la gouvernance, conséquences climatiques, perte de la bleutée du ciel), nous n’évoquerons que la piste de la limitation de l’effet de serre additionnel.
Le réchauffement est corrélé à la quantité de GES dans l'atmosphère
L’atmosphère terrestre agit comme un vêtement pour la planète Terre. Elle renvoie la chaleur de la Terre vers elle pour éviter les déperditions dans l’espace. C’est la vapeur d’eau qui est à l’origine de ce phénomène naturel.
Depuis la révolution industrielle, les sociétés humaines rejettent d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère dans des proportions non-négligeables. De ce fait, l’atmosphère se fait « plus épais » et renvoie de plus en plus de chaleur vers la surface terrestre. Nous avons rajouté quelques pulls à notre planète.
Cette comparaison avec l’épaisseur des vêtements se remarque sur le graphique ci-dessous. En abscisse, la quantité cumulée de CO2 et en ordonnée le réchauffement associé. Plus les émissions sont importantes, plus le réchauffement l’est.
Pourquoi viser seulement la limitation du réchauffement ?
Depuis 120 ans, la planète s’est réchauffée de +1.1°C à causes des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Or, ces gaz sont dans l’atmosphère pour une durée qui dépasse nos échelles de temps décisionnelles.
Vous pouvez voir sur le graphique ci-dessous une modélisation du temps de résidence dans l’atmosphère d’un surplus de CO2. Après 100 ans, le surplus est de 40%. De 20% après 1 000 ans et d’une dizaine de pourcents après 10 000 ans. On perçoit ici les échelles de temps à l’œuvre dans le processus du réchauffement global.
Ce graphique montre que si l’humanité stoppait toutes ses émissions de CO2, la concentration de CO2 dans l’atmosphère diminuerait de 40% en 20 ans et 20% supplémentaires les 80 années suivantes. Le processus du dérèglement climatique est donc un processus de longue durée.
Notons que les horizons de temps qui définissent le climat terrestre dépassent allègrement le millénaire. Tandis que les horizons de temps politiques de nos sociétés ne dépassent que rarement la décennie.
Viser la limitation du réchauffement suppose donc un progrès pour nos sociétés. En effet, cela suppose de planifier notre organisation sociétale sur un siècle. La réduction du réchauffement climatique s’organisant alors sur les siècles suivants.
Cependant, entre la situation actuelle et la situation où l’humanité n’émet plus de CO2, il existe un entre deux. Une position d’équilibre où les sociétés humaines émettent autant de CO2 qu’elles n’en retirent, durablement, de l’atmosphère. Il s’agit de la neutralité carbone.
Réchauffement global et neutralité carbone, quels liens ?
Pour que le réchauffement global soit limité à un certain niveau, il est nécessaire d’atteindre la neutralité carbone. Car, c’est à partir de ce moment que la concentration en CO2 de l’atmosphère se stabilisera.
Cependant, la stabilisation de la concentration en CO2 ne suffit pas à limiter le réchauffement. Il faut que la concentration en CO2 de l’atmosphère diminue. Il faut pour cela que l’humanité retire durablement plus de CO2 de l’atmosphère qu’elle n’en émet. La neutralité carbone n’est donc pas une finalité mais une étape.
Nous pouvons remarquer cela sur le graphique du GIEC ci-dessous. Parmi les 5 scénario représentés, seuls deux d’entre eux atteignent la neutralité carbone. En 2055 pour le 1er et en 2075 pour le 2nd.
La neutralité carbone n’est pas une finalité mais une étape.
Pour atteindre la neutralité carbone, deux actions doivent être menées conjointement. Il est nécessaire de réduire les émissions brutes de nos sociétés tout en augmentant les capacités pour retirer durablement le CO2 de l’atmosphère.
Réduire les émissions brutes
Afin d’atteindre la neutralité carbone, les sociétés humaines doivent réduire leurs émissions brutes. Pour se faire, il est possible d’activer différents leviers à l’échelle sociétale. Que ce soit au niveau des individus, des institutions politiques ou des entreprises.
Il est possible de réduire les émissions brutes en :
- améliorant l’efficience des procédés et processus actuels – il s’agit d’amélioration continue
- innovant via des ruptures technologiques
- consommant moins de ressources – il s’agit de sobriété
Le think-tank The Shift Project évalue dans son Plan de Transformation de l’Economie Française l’impact potentiel de ces leviers pour le secteur de l’industrie. Voici comment se répartit les gains possible selon ces 3 leviers :
Les émissions du secteur sont de 11 millions de TCO2e en 2016. La réduction des émissions brutes est possible à hauteur de 80%.
Cette réduction se réparti à 50% via l’amélioration continue des procédés, à 40% via des ruptures technologiques et à 10% via des actions de sobriété.
Toutes les améliorations qui ne seront pas atteintes via les leviers d’innovation incrémentale et de rupture devront l’être via la sobriété.
Les émissions du secteur sont de 21 millions de TCO2e en 2016. La réduction des émissions brutes est possible à hauteur de 90%.
Cette réduction se réparti à 40% via l’amélioration continue des procédés, à 40% via des ruptures technologiques et à 20% via des actions de sobriété.
Toutes les améliorations qui ne seront pas atteintes via les leviers d’innovation incrémentale et de rupture devront l’être via la sobriété.
Les émissions du secteur sont de 22 millions de TCO2e en 2016. La réduction des émissions brutes est possible à hauteur de 80%.
Cette réduction se réparti à 40% via l’amélioration continue des procédés, à 40% via des ruptures technologiques et à 20% via des actions de sobriété.
Toutes les améliorations qui ne seront pas atteintes via les leviers d’innovation incrémentale et de rupture devront l’être via la sobriété.
Augmenter les capacités d'absorption
Le fonctionnement des sociétés humaines implique des émissions incompressibles (imaginez un accordéon). Pour ces émissions incompressibles (qu’il faut préalablement identifier), il est nécessaire de mettre en place des techniques de séquestration durable du CO2.
Dans le cas du territoire français, la Stratégie Nationale Bas Carbone définit des émissions incompressibles de l’ordre de 80 millions de TCO2e. Pour atteindre la neutralité carbone, des émissions négatives doivent avoir lieu par le biais de l’augmentation des puits de carbone forestiers et des techniques CCS de Capture de de Stockage du Carbone.
Afin de garantir que la concentration de CO2 de l’atmosphère réduise suite à l’atteinte de la neutralité carbone, il est nécessaire que les techniques d’absorption du CO2 de l’atmosphère soient durables. On parle alors de séquestration. Par exemple, financer un projet de reboisement permet de stocker du carbone pendant la croissance de l’arbre. Cependant, l’usage de son bois rend ce stockage durable (bois de construction) ou éphémère (bois de chauffage).
Contribuer à la neutralité carbone pour une organisation
Pourquoi une organisation ne peut pas se considérer ou se revendiquer d’être « neutre en carbone » ? Tout simplement parce que ce concept a été conçu pour une échelle globale et planétaire.
La neutralité est définie à l’échelle du globe comme l’équilibre entre émissions et séquestrations. Une déclinaison est possible au niveau des Etats pour faciliter sa mise en œuvre mais cela n’est pas transposable à plus petite échelle sans poser des biais méthodologiques que vous pouvez retrouver dans cette étude de l’ADEME (page 4).
Afin de faciliter la contribution des acteurs économiques dans l’atteinte de la neutralité carbone, le référentiel Net Zero Initiative a été conçu. Il permet a chaque entreprise de mettre en place des actions selon les différents leviers d’actions à leur portée.
- Réduire leur empreinte carbone directe
- Contribuer à réduire les émissions des autres acteurs
- Retirer du carbone de l’atmosphère
Rappelons alors que la neutralité carbone ne s’atteint qu’en compensant les émissions dites incompressibles. Il est donc prioritaire pour une organisation de d’abord réduire ses émissions brutes avant de compenser les émissions incompressibles. Voir le fil de discussion de Valérie Masson Delmotte sur Twitter à propos de la neutralité carbone des entreprises.
Afin de faire progresser les sociétés vers l’objectif de neutralité carbone, un concept clé se doit d’être mieux défini (voir encadré par la loi). Il s’agit des émissions dites incompressibles. En effet, comment et qui décide qu’une émission de CO2 (ou d’autres GES) ne peut pas être réduite ?
Il s’agit ici de sous-peser les avantages (sociétaux) et les inconvénients (climatiques) apportés par chaque émission. Chaque acteur aura tendance à surévaluer l’incompressibilité des ses émissions du fait d’un certains nombre de biais cognitifs ou d’affects émotionnels. Il apparaît alors nécessaire de disposer d’instance démocratiques pour décider de l’incompressibilité ou non des émissions.
On voit ici que la neutralité carbone n’est pas qu’une question comptable d’émissions brutes, nettes et de bilan équilibré. Il s’agit d’un projet de société où tous les corps doivent contribuer.
Auteur :
Harald Lhomme
Consultant en stratégie carbone