L'histoire de la transition énergétique
Depuis les chasseurs cueilleurs, en passant par l'empire Romain à nos jours
La transition énergétique, ce concept omniprésent mais finalement assez mal compris, est souvent utilisé pour désigner l’abandon progressif de certaines énergies conjointement au développement d’autres énergies. Mais ce processus dont nous parlons tant a-t-il déjà eu lieu lors de la brève histoire humaine ? Pouvons-nous nous en inspirer pour la transition à venir ?
Un petit point de contexte peut-être ?
Depuis la fin de la dernière ère glaciaire il y a environ 20.000 ans, le climat mondial s’est stabilisé pour permettre à notre espèce de passer d’environ 100.000 individus à environ 500 millions aujourd’hui (en Europe). Les conditions de vie de l’époque ne permettaient pas de faire vivre plus d’individus, les principaux apports énergétiques se limitant aux fruits de la cueillette ainsi que la chasse et la pêche. Voici quelles étaient les sources énergétiques et calorifiques de l’humanité à cette époque. Il suffit de se remémorer du film d’animation l’Age de Glace pour imaginer le vécu des populations de l’époque.
Une analyse thermodynamique, en 1ère approximation, du système humain de l’époque donne que les intrants énergétiques seraient les suivants :
- La nourriture – qui fournit de l’énergie lorsqu’elle est convertie par notre métabolisme,
- Le rayonnement solaire – qui réchauffe,
- La chaleur des 1ers feux de bois (inventés il y a environ 500.000 ans) – qui réchauffe, permet à l’homme de se déplacer la nuit et de cuire ses aliments.
L’énergie utilisée par l’humanité est alors, en 1ère approximation, renouvelable.
La première transition énergétique de l’humanité, il y a plus de 7.000 ans.
L’homme dans les premières périodes de son existence est essentiellement dépendant des ressources qu’il trouve sur son chemin de nomade. Avec le réchauffement du climat qui a duré plusieurs milliers d’années, l’homme a pu profiter de conditions de vie de plus en plus décentes. Les conditions de vie s’améliorent, les ressources se font de plus en plus abondantes et des zones de la Terre se font plus prolifiques. L’homme se sédentarise peu à peu et réalise une transition énergétique : il se met à cultiver et à élever des bêtes.
Première transition énergétique, l’homme se met à cultiver et se nourrit principalement de céréales. Son alimentation devient moins diversifiée mais cela permet d’augmenter le nombre d’individus via l’abondance de la production. [1]
Deuxième transition énergétique, l’homme utilise à son avantage l’abondance de céréales et son cheptel afin d’utiliser la traction animale. La traction animale devient donc un intrant énergétique.
L’humanité s’organise en groupe de plus en plus importants, les villes grandissent, les empires se font de plus en plus puissants
Les bénéfices de la nourriture abondante permettent aux civilisations de grandir et de devenir plus puissantes que leurs voisins. A l’époque de l’empire romain, la puissance des civilisations repose essentiellement sur la taille de leur armée et sur leur capacité à les déplacer rapidement sur de grandes distances.
On touche ici au concept même de puissance, qui peut être définie comme l’utilisation intensive d’énergie (en physique, la puissance est le rapport de l’énergie sur le temps). Une civilisation puissante doit donc physiquement dépenser l’énergie plus vite que ses adversaires.
La ville de Rome, vers l’an 100, comptait environ 1 million d’habitants et était la plus grande ville du monde méditerranéen. Son avantage sur les autres civilisations était l’abondance énergétique dont elle disposait grâce à son premier fournisseur de blé qu’était l’Egypte. Avec le Nil capable de 2 crues par an, le delta du fleuve était la zone la plus fertile de l’empire romain. [2]
Les intrants énergétiques au système {empire romain} sont alors :
- Nourriture abondante issue de l’agriculture et de l’élevage
- Traction animale (chars à traction, charrues, cavalerie, …)
- Esclavagisme (si l’on considère les esclaves comme extérieurs au système. Ce que ne manquait pas de faire leur maîtres)
- Force du vent (moulins à vent, marine à voile)
- Force hydraulique (moulins à eau)
Plus de 1.000 ans sans transition énergétique de rupture
L’empire romain s’effondre, les siècles passent, et le système énergétique de l’humanité ne vit pas de transitions notables. Les techniques se perfectionnent et cela permet d’utiliser la même quantité d’énergie pour un meilleur rendement. C’est de l’innovation incrémentale.
On peut cependant noter l’importance du système énergétique pour les sociétés de l’époque à travers l’anecdote suivante :
En 1783, deux volcans entrent en éruption et rejettent des particules fines dans l’atmosphère qui agissent comme des miroirs pour les rayons solaires. Notre source première d’énergie est amenuisée. Conséquence directe, les rendements agricoles sont en déclin en Europe. La situation paysanne devient intenable. Couplé aux inégalités entre le Tiers-Etat, le clergé et la noblesse, qui ne jouissent pas tous de la même opulence, un terreau révolutionnaire est en place en France.
La révolution industrielle ou la capacité à utiliser l’énergie de la nature à grande échelle
La révolution industrielle pourrait se résumer en une seule invention. Un ingénieur écossais, qui donnera son nom à l’unité de puissance, améliore la machine à vapeur et permet l’utilisation de celle-ci pour pomper l’eau qui s’écoule dans les mines de charbon.
Avec cette invention, l’homme est arrivé à faire ce qu’il n’avait pas encore réussi à faire : maîtriser l’énergie. Jusqu’à présent, l’humanité vivait au gré des énergies intermittentes comme le soleil et le vent. A partir du 18èmesiècle, elle a pu décider quand utiliser l’énergie stockée dans la biomasse (bois) et les biomasses fossilisées dans le sol (charbon puis pétrole).
L’énergie du soleil, synthétisée par photosynthèse pendant des millions d’années et concentrée en veines de charbons est réutilisée lors de la combustion du matériau. L’énergie libérée, par principe thermodynamique, permet d’entrainer un vérin qui entraine à son tour un axe rotatif : tel est le fonctionnement de la machine à vapeur.
Dans le siècle suivant, le moteur à explosion est inventé et l’humanité trouve une utilité au pétrole autre que celle des lubrifiants. Cette source d’énergie est notamment très pratique pour déplacer des objets car il se stocke facilement (il est liquide à contrario du charbon). [3]
Les conséquences de la démocratisation de ces innovations seront absolument clefs à l’échelle de l’humanité : abolition de l’esclavage, exode rural, transition démographique [4]. Puis les autres inventions et innovations se succèdent : hydro-électricité, nucléaire, photovoltaïque.
Toutes ces innovations et ces changements dans les intrants énergétiques ont-ils servis la transition énergétique ?
Pour répondre à cette question, il est intéressant de revenir au concept défini en préambule de cet article. La transition est un état transitoire entre deux états. Appliquée au domaine énergétique, la transition évoque l’abandon d’un certain type d’énergie pour s’orienter vers un autre type.
Le graphique ci-dessus présente les différentes consommations d’énergie dans le monde depuis 1800. On ne peut y observer aucune véritable transition, mais plutôt une accumulation de différentes sources d’énergie dont la plus forte croissance des dernières années est celle du charbon. En effet, la Chine a connu une forte croissance ces 20 dernières années. De fait, aujourd’hui, elle possède la moitié des centrales à charbon dans le monde.
Il est alors pertinent de se poser la question suivante : à quel moment une transition énergétique mondiale a-t-elle eu lieu ? A quel moment avons-nous abandonner une énergie pour la remplacer par une autre ?
Autant la question est délicate à répondre au niveau mondial, autant elle semble plus simple pour le cas français comme nous pouvons le remarquer ci-dessous
Répartition des sources d’énergie consommées en France
Source : [BP statistical review]
Regardons l’évolution des sources d’énergie consommées en France. La transition est marquée à la suite des pics pétroliers de 1970-1980. La France développe son atout nucléaire pour générer de l’électricité à partir d’une source d’énergie non-fossile. En effet, l’uranium n’est pas une ressource fossile (ancienne forme de vie décomposée) mais une ressource minérale au même titre que le minerai de fer. Le mix énergétique français se décarbone à partir de 1970 pour se stabiliser 30 ans plus tard.
Posons-nous maintenant la question suivante : la transition énergétique française est-elle une réussite ? Pour cela, il faut se poser une autre question.
Quel est l’objectif de la transition énergétique ? Pourquoi faut-il la réaliser ?
Un premier objectif est de réduire l’impact du changement climatique en supprimant les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) car elles émettent du CO2 lorsqu’elles sont brulées. Le gouvernement français décomposait en 2014 cet objectif en 3 sous parties [5]:
- Réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030
- Atteindre une part de 32% de renouvelables en 2030
- Diviser par deux la consommation énergétique en 2050
Ces objectifs se retrouvent aujourd’hui dans un texte de loi que l’on nomme la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC).
Un second objectif est lié aux enjeux économiques et géopolitiques. Il s’agit de la maitrise de notre approvisionnement énergétique. L’actualité récente le montre avec l’augmentation du prix du gaz à l’automne 2021. Il est alors intéressant de rappeler que la France est dépendante des importations de gaz provenant de la Russie notamment.
Les énergies d’origines fossiles étant épuisables [6], il est pertinent d’apprendre à en utiliser moins. Et il est même possible que cet enjeu soit tout aussi urgent…
[1] Yuval Noah Harari, Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, Paris, Albin-Michel, 2011
[2] Yann Le Bohec, L’Egypte des Romains de l’exploitation à la provincialisation
[3] Matthieu Auzanneau, L’or noir la grande histoire du pétrole, La découverte, 2015
[4] Matthieu Auzanneau, L’or noir la grande histoire du pétrole, La découverte, 2015
[5] Projet de loi de 2014 du gouvernement français sur la Transition énergétique
[6] Rapport de The Shift Project sur l’approvisionnement pétrolier en Europe
Auteur :
Harald Lhomme
Consultant en stratégie carbone