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Sainte Soline, la 1ère guerre de l'eau ?

25 mars 2023, dans l’Ouest de la France 6 000 à 30 000 (selon les sources) manifestants marchent sur la méga-bassine de Sainte Soline. Face à eux, un dispositif policier de 20 escadrons de gendarmes mobiles, neuf hélicoptères, quatre véhicules blindés et quatre canons à eau.

Suite à ce violent week-end, le mouvement Les Soulèvements de la Terre, très impliqué dans cette manifestation s’est fait menacer de dissolution par le ministre de l’Intérieur. A cette occasion, diverses personnalités publiques, politiques et citoyens se sont prononcés en faveur de ce mouvement. 

A l’instar de Valérie Masson Delmotte, vice-présidente du groupe 1 du GIEC qui « exerce [son] droit à la liberté d’expression, comme scientifique, comme citoyenne »  lors d’un événement de soutien organisé par les Soulèvements de le Terre, repris dans cette vidéo de 4 minutes alertant sur la gravité de la situation.

Si cet évènement est resté dans les mémoires pour la violence de ses affrontements, il existe d’autres sujets sous-jacents qu’il convient d’aborder afin de contextualiser cette manifestation dans le contexte du changement climatique.

▶ Nous commencerons par rappeler les enjeux présents et futurs autour de la ressource en eau en France. 

▶ Nous expliquerons ensuite le fonctionnement des méga-bassines.

▶ Pour conclure sur la notion de justice sociale et climatique, axe majeur pour la réussite de la lutte contre le désastre environnemental en cours.

Quels enjeux autour de l'eau en France ?

La planète Terre porte mal son nom. Recouverte à 60% par des océans, elle doit la luxuriance de la vie qu’elle porte à une unique ressource : l’eau.

L'eau, en France, aujourd'hui.

L’année 2022 a été marquée par le triste record de sécheresse pour le pays depuis le début des mesures. Mais c’est oublier les précédents records (successifs) de 2018, de 2019 et de 2020.

Début 2023, l’alerte est lancée courant de l’hiver quand le pays n’a pas reçu une goutte d’eau pendant plus de 30 jours successifs. Nous en parlions dans cet article à propos de la sécheresse hivernale.

Carte de France des précipitations sur la période 21/01/23 au 16/02/23
Carte de France du cumul de précipitations du 21/01/23 au 16/02/23. Source : Météo France

Depuis cet épisode de sécheresse d’hiver, le pays a connu des épisodes pluvieux réguliers sur les mois de mars, d’avril et de mai. Cependant, cela coïncide avec la saison printanière pendant laquelle la végétation reprend vie et consomme l’eau qui arrive en surface. Conséquence de quoi, ces pluies ont eu peu d’impact sur l’état des nappes phréatiques.

En témoigne le bulletin de situation hydrogéologique au 1er avril 2023 du Bureau de Recherches Géologiques et Minières ci-dessous. Les améliorations se faisant particulièrement ressentir sur la partie Ouest du pays permettant d’atteindre des niveaux moyens pour les nappes. La partie Est, quant à elle, reste stable avec des nappes remplies moins que la moyenne. 

Etat des nappes phréatiques françaises au 1er avril 2023 - Source : BRGM

L'eau, en France, demain.

La construction de ces méga-bassines est un investissement sur le temps long. Et très certainement pour anticiper le devenir de la ressource en eau en France. Regardons ça de plus près 🔎

En utilisant l’Atlas Interactif du GIEC, nous pouvons visualiser l’état du monde si la planète se réchauffe de +4°C. Ici est représenté l’évolution des précipitations estivales avec une échelle en pourcentage. Le marron foncé correspondant à -50% et le bleu foncé à +50%. 

Evolution des précipitations estivales dans un monde à +4°C - Source : Atlas Interactif du GIEC

On peut remarquer que l’évolution des précipitations suit la tendance de ces 5 dernières années. Le bassin méditerranéen est une zone qui va considérablement s’assécher. Certains climatologues parlent même de hot-spot du changement climatique. 

Les précipitations se font de plus en plus faibles. La température augmente. Avec elle, l’évaporation des sols augmente également. Au final, c’est l’humidité des sols qui diminue fortement. Et cela impacte et impactera de plus en plus le secteur agricole pour des raisons évidentes.

Les méga-bassines, une solution face à la raréfaction de l'eau ?

Comme nous venons de le voir précédemment, le secteur agricole est et continuera d’être un secteur particulièrement touché par les perturbations du cycle de l’eau. Face à ce constat, un certains nombre d’agriculteurs ont prévu de faire construire des bassines afin de collecter de l’eau et la réutiliser au besoin pendant les phases de sécheresse. Un collectif militant a recensé ces bassines sur cette carte.

Le principe de fonctionnement

La bassine est un système de stockage d’eau parmi d’autres. Il existe également les barrages (pour maintenir l’eau dans les montagnes) et les retenues collinaires (utiles pour les petites exploitations agricoles mais problématique si répandu à large échelle car cela prive d’eau en aval).

Les différents types de retenues d'eau - Source : Esco

Le principe d’une bassine est simple. Il ne s’agit pas de collecter l’eau de pluie dans un réservoir. Il s’agit de pomper l’eau d’un premier stock d’eau (une nappe phréatique) pour la stocker ailleurs (la bassine).

L’eau est stockée dans des bassines d’environ 10 à 20 fois le volume d’une piscine olympique. Les bassines sont censées fonctionner pour prélever le « trop plein » des nappes en hiver qui irait s’écouler dans les rivières sinon. Cela contribue donc à assécher les rivières plus vite et impacte les écosystèmes locaux.

L’intérêt pour les agriculteurs est alors de disposer d’eau pour les périodes de sécheresse afin d’alimenter leurs cultures avec cette précieuse ressource.

La polémique.

Comme bien souvent, le diable se cache dans les détails. Les bassines de captation de l’eau souffrent de défauts et nous vous en proposons 4 :

Le premier est l’accélération des situations de sécheresse car l’eau des nappes s’amenuise plus vite. Cela impacte tous les agriculteurs du bassin versant sur lequel est située la nappe. Si ceux-ci n’ont pas de système de stockage et/ou des puits de moyenne profondeur, ils n’ont plus accès à l’eau deux fois plus vite.

Le second défaut est certainement la raison initiale de la construction de ces bassines. En effet, en période de sécheresse, des arrêtés préfectoraux réglementent l’irrigation à partir de l’eau des nappes phréatiques. L’usage des bassines permet donc de contourner ces arrêtés car l’eau est pompée avant les situations de crise. Il s’agit d’un accaparement de la ressource par certains, un peu à la manière de la ruée sur le papier toilette pendant les confinements du COVID en 2020.

Le troisième défaut concerne l’usage de l’eau stockée dans ces bassines. Le maïs, céréale fortement produite dans notre pays avec la moitié des surfaces agricoles irriguées, représente environ 20 à 24% de la consommation d’eau douce du pays. La moitié de cette production de maïs sert de fourrage pour le bétail, secteur intensif et fortement émissif en méthane, un gaz à effet de serre très puissant. Plus de détails dans cet article du Monde.

Le dernier défaut est de regarder le financement de ces installations qui sont pris en charge à 70% par des subventions publiques. Il s’agit donc de financer publiquement des installations privées qui impactent d’autres contribuables car cela les privent de ressources en eau.

Il est possible que ce soit un mélange de ces 4 aspects qui ait poussé les manifestants à montrer leur mécontentement contre l’installation de la méga-bassine de Sainte-Soline. Un mélange de ces 4 aspects nourri par un besoin de justice et d’équité. 

La justice et l'équité, condition nécessaire pour une transition climatique

Au delà des problèmes financiers ou techniques, la transition environnementale est d’abord un problème social. Ce qui reboucle aussi avec l’aspect politique. Les individus s’engageront dans la « transition climatique » à condition que d’autres s’engagent aussi et que les efforts soient équitablement partagés. 

Cette notion d’équité fait d’ailleurs consensus au niveau mondial dans la communauté scientifique et diplomatique. Dans le rapport de synthèse publié en mars 2023, il est évoqué au paragraphe 4.4 que les actions proposant l’équité et la justice permettent de nous orienter vers un monde plus soutenable.

Source : IPCC_AR6_SYR_LongerReport

Afin de préciser plus spécifiquement l’importance de ces notions comportementales et sociales, nous vous proposons de mettre en lumière les travaux sur les sciences cognitives appliquées au climat de Mélusine Boon-Falleur, candidate à un doctorat sur le sujet à l’ENS Paris.

La coopération conditionnelle

Il s’agit ici de comportements sociaux de base. Nous acceptons de coopérer à des règles supérieures si nous percevons (cet aspect est important) que les autres coopèrent également. [Je m’engage à condition que …]

Exemple : au sein d’une entreprise, certains salariés viennent en voiture, d’autres en vélo, d’autres à pied et d’autres en transport en commun. Si la direction de l’entreprise souhaite engager le changement dans ces pratiques. En facilitant le report modal de la voiture vers autre chose, il faut qu’elle rende visible certains comportements. 

En effet, les salariés qui se déplacent à pied ou en transport en commun ont adoptés des comportements éco-responsables mais ceux-ci ne sont pas perceptibles par les autres salariés. La raison est qu’ils n’ont pas de voiture ou de vélo/casque à rendre visible. 

Deux manières de faciliter cette coopération :

  • Edicter des règles auxquelles tout le monde peut se référer.
  • Rendre visible nos comportements éco-responsables afin qu’ils soient perçus par les autres.
    Car, bien souvent, un comportement éco-responsable consiste à ne pas faire quelque chose.

En reprenant le précédent exemple, une règle de référence peut être par exemple le challenge vélo du mois de juin. Il permet également de rendre visible les comportements car se déplacer en vélo est visible des autres collaborateurs (casque).

Une coopération équitable

Afin qu’un maximum de personnes s’engagent dans cette transition, il faut que chacun perçoive que les autres agissent. C’est le point précédemment évoqué. Mais les efforts de chacun seront modulés en fonction de ceux des autres. Il faut donc également que les efforts soient équitablement répartis.

En ce sens, les privilèges ne facilitent pas l’action. Confère la définition du Larousse : « Avantage particulier considéré comme conférant un droit, une faveur à quelqu’un, à un groupe. »

Pour mener des politiques publiques efficaces, au sens d’un impact maximal, il faut donc considérer 2 aspects. 

  1. Impacts directs d’une mesure : Réduction de CO2 pour les sujets liés au climat 
  2. Impacts indirects : Acceptabilité sociale d’un changement vu par la population
C’est de la maximisation de ces 2 axes que l’impact sera le plus important.

Sainte Soline, un exemple d'inéquité parmi d'autres

Les méga-bassines, les SUV, les déplacements en voiture en ville, les croisières en paquebot, les jet privés, les piscines privées ainsi que l’aviation sont des exemples mettant en valeur l’inéquité des comportements écoresponsables.

Tant que ces pratiques resteront la norme, le changement social sera rendu plus difficile. Car chacun pourra se dédouaner en se comparant aux comportements des autres. 

Il faudra peut-être un jour questionner ces pratiques à la lumière de la nouvelle donne climatique.

À consulter également :

Auteur :

Harald Lhomme 

Consultant en stratégie climat